« Un de mes collègues a eu une promotion, pourquoi lui et pourquoi pas moi ? ». « Malgré mes efforts et le fait que j’ai « explosé » mes objectifs, je n’aurai pas de prime cette année ! ». « Une énième réorganisation cette année ? Ceux qui nous dirigent sont vraiment incompétents ! ». « Ils s’en mettent plein les poches et moi, on me refuse une malheureuse augmentation de 100 euros ! ». « Au nom de leur politique en faveur des jeunes, moi à 55 ans, je végète dans mon poste depuis 3 ans !». Quel manager n'a pas déjà été confronté à ces sentiments de jalousie, de colère, d’indignation ou de peur, auxquels nous pourrions ajouter beaucoup d’autres variantes : frustration, désengagement, soif de vengeance, haine, etc. ?
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Le succès mondial du livre de Stéphane Hessel illustre bien que ce sentiment d’indignation se répand partout, du nord au sud, dans tous les métiers, dans toutes les couches de la société. Qui n’a pas été traversé par ces sensations négatives en apprenant une fraude fiscale, le dopage d’un grand champion médaillé, l’impunité d’un automobiliste étranger ou, dans son entreprise, la promotion d’un collègue qu’on juge moins bien placé ? Pourquoi cet emballement ? Aimerions-nous être indignés ?
Deux approches permettent de comprendre ces phénomènes : une première classique et historique et une seconde économique qui fera l’objet d’un prochain billet.
L’approche historique
La revue « Sciences humaines » a récemment publié un hors-série intitulé « Les penseurs de la société ». On y découvre plusieurs courants intéressants au travers de grands auteurs. Celui qui paraît d’une grande actualité et dont les réflexions sont pertinentes sur cette question de l’indignation est Alexis de Tocqueville (1805-1859).
Il a analysé les systèmes politiques, notamment dans son ouvrage principal « L’ancien régime et la révolution », où il met en évidence les limites de la démocratie. De son point de vue, la démocratie génère une course à l’égalité. Les classes sociales extrêmes s’estompent laissant place à une vaste classe sociale moyenne. Au fur et à mesure, l’homogénéisation prend le relais laissant apparaître les inégalités comme anormales. Le désir d’égalité devient toujours plus insatiable et le niveau de tolérance de ces différences diminue à mesure que l’égalité se renforce.
Chacun pouvant « réussir », puisque la famille de naissance n’est plus garante de son statut, les individus se centrent sur leurs ambitions personnelles, leur bien-être quotidien. Occupé à régler ses propres affaires, l’individualiste en oublie le sens du collectif et tombe dans une mollesse intellectuelle où la paresse le rend moins actif quant à son destin. De moins en moins libre, de plus en plus dépendant, il accable ceux qu’il pense être responsables de sa frustration. Les privilèges lui paraissent de plus en plus intolérables.
Quels enseignements pour le manager d’aujourd’hui ?
La conclusion que l’on peut en tirer est que le manager a intérêt à stimuler deux aspects : le sens de la responsabilité et la cohésion d’équipe.
Le sens de la responsabilité commence en exprimant clairement à chacun que la motivation ne dépend pas de l’entreprise ni du manager et encore moins de son entourage mais d’abord de soi-même. Bien sûr, cela ne retire rien à la responsabilité du manager qui doit créer les conditions les meilleures pour que cette motivation émerge. Mais il est primordial que le manager n’entretienne pas l’illusion et la confusion entre satisfaction passive et motivation dynamique : c’est à l’individu de se recentrer sur ses véritables besoins et de les réétalonner si nécessaire.
La cohésion d’équipe ensuite réside dans la mise en pratique de valeurs communes non seulement prônées mais également vécues, par des activités communes, des objectifs communs. Elles se constatent dans les comportements du manager et de ses équipiers. Susciter la créativité, donner de l’autonomie, créer des occasions de relation informelle sont autant de voies de développement pour combattre cette apathie décrite par Alexis de Tocqueville.