La confiance ou la peur
La confiance est une problématique récurrente au cœur des enjeux sociétaux, dans les entreprises et dans les relations inter-personnelles. Elle met en jeu deux dimensions, celle de l’échange contractuel et celle de l’affectivité. La confiance est une expérience primaire et fondamentale de l’être humain et avec la peur, il s’agit sans doute du premier sentiment éprouvé dès la naissance[1].
Ces sentiments de peur et de confiance impactent nos perceptions du monde et des autres et par voie de conséquence nos choix et décisions pour nous, les autres et la société, comme nous en parlions dans ce précédent billet "Leaders, inspirez confiance !".
Lire aussi : La confiance en soi : comment ça marche et comment la développer ?
Pourquoi faire confiance?
Les origines du concept de confiance sont doubles.
Le pari sur l'amour
En anglais, il existe deux mots pour parler de la confiance : « trust » et « confidence ». « Confidence » est la version latine qui en français a donné « confidence » et « confiance ». « Trust » tire son origine du mot allemand « trost » qui signifie « le confort ». L’origine latine, quant à elle, provient de « fides », la foi.
Dans ce cas, la confiance repose sur une notion impliquant quelque chose d’instinctif voire affectif. La confiance en soi ayant pour fondement l’amour lié à l’attachement, au sens éthologique du terme[2], c’est-à-dire au besoin vital de contacts dès les premiers instants de la vie. Ainsi confiance et loyauté sont-ils synonymes. Le terme recouvre alors la fidélité, l’exactitude à tenir une promesse. On parle de confiance en la loyauté de quelqu’un ou de quelque chose. C'est un mouvement de soi vers l'autre fondé sur l'amour.
L'intérêt calculé
Mais la confiance a pris aussi une connotation plus matérialiste. Au fil du temps un sens nouveau apparaît au cœur d’un mouvement de don contre don. Il s’agit de confier un objet précieux à quelqu’un, ou à une force magique, avec certitude de récupération. Dans ce cas, le don délivre un droit et la confiance est perçue comme un investissement, un acte intéressé.. Dans ce cas, la confiance est beaucoup plus cérébrale, calculée. Elle implique une conception logique, consciente et rationnelle. « trust » est instinctif mais « confidence » est stratégique.
On le voit, au-delà d’une origine fondée sur l'amour, la confiance porte aussi en elle quelque chose d'intéressé et de calculé, plus rationnel. Son absence ou sa présence peuvent véritablement changer les choses et faire de grandes différences dans la vie des personnes. La confiance pose la question de l’amour, et on peut se demander ce qu’il en est dans la société comme dans les entreprises.
La vérité contre le mensonge
Ce rapide historique de la confiance met en évidence les deux dimensions qui la composent :
- la dimension affective issue de la satisfaction des besoins primaires dans l’histoire de la personne ;
- la dimension rationnelle qui débouche sur une logique de lien contractuel transparent avec des règles du jeu pour fonder des échanges réciproques.
Mais il y a une autre dimension que la plupart des personnes connaissent. Ainsi, à la question « qu’est-ce qui détruit la confiance ? », 90% de personnes interrogées répondent-elles en premier : « mentir ». Chacun de nous sait que mentir ou trahir détériorent profondément la confiance placée en l'autre. Ainsi franchise, vérité et honnêteté sont-elles les clés positives de la confiance. Les autres réponses les plus fréquentes à ces questions sont l'humiliation et l'exclusion. Pour en comprendre la raison il nous faut précisément explorer l'autre émotion fondamentale, la peur.
Pourquoi avoir peur ?
L’autre émotion fondamentale est la peur. Mais de quoi les gens ont-ils peur ? Des autres ? Non, car contrairement à ce qu’on pourrait croire l’individu n’a pas peur des autres. L’individu a peur de lui-même. En effet, dès les premiers instants de la vie, le psychisme commence à élaborer des mécanismes destinés à se protéger soi-même de ses propres peurs. Mais, bien que protecteurs et structurant, ces mécanismes de défense altèrent la représentation du monde, de l’autre et par conséquent la qualité de la relation.
La peur de ne pas être important
Jusqu’à un certain point tout individu a besoin d’exister et de se sentir important et de trouver sa place. L’enfant recherche la compagnie de ses camarades, l’adulte celle de ses collègues, le citoyen veut sa place dans la société. En même temps qu’il recherche le niveau satisfaisant d’importance pour lui, l’individu craint d’être ignoré. Ainsi, parfois, l’enfant croit que ces camarades l’ignorent et ne veulent pas jouer avec lui ; le collaborateur pense que son manager ne fait pas attention à lui. Ces doutes vont perturber la lecture du monde et des relations et ses décisions.
La peur de ne pas être compétent
Jusqu’à un certain point tout individu a besoin de maîtriser son environnement et de se sentir compétent. Cela le conduit à prendre en charge les situations qui le concernent. Par exemple, les devoirs d’école pour l’enfant, les projets professionnels pour l’adulte. En même temps qu’il recherche ce sentiment de compétence, l’individu doute de sa propre compétence et craint d’être humilié. Cela peut arriver à un enfant qui n’arrive pas à trouver la bonne réponse en classe, ou à l’adulte qui ne sait pas quoi répondre à son chef en réunion ou au citoyen qui se sent incapable de changer la société.
La peur de ne pas être aimé (ou digne de l’être)
Dans un précédent billet sur l'estime de soi nous évoquions le fait que tout individu a besoin d’aimer et de se sentir aimé.
Cela conduit la personne à être chaleureuse ou amicale envers les autres. L’enfant comme l’adulte sont concernés par ce besoin. Là aussi, en parallèle à cette recherche d’être aimé, le doute existe de ne pas être digne d’être aimé et de craindre le rejet. Ce qui survient chez l’enfant à qui on ne dit pas qu’on l’aime mais aussi chez l’adulte à qui on ment.
Blâmer pour ne pas faire face
Mais la seule vraie peur est celle de ne pas savoir faire face aux événements de son existence. En particulier, le sujet a peur de ne pas savoir faire face s’il a l’impression d’être ignoré, humilié ou rejeté par les autres, doutes qui renforcent ses sentiments de ne pas être important, compétent ou aimable. Aussi le psychisme a-t-il imaginé des mécanismes de protection psychologiques dont le but essentiel est de protéger le sujet de ses propres craintes à l’égard de lui-même.
Ainsi plutôt que de penser « je ne m’aime pas », ces mécanismes défensifs transforment le doute en « tu ne m’aimes pas » puis de manière inconsciente mais logique la relation à l’autre devient « je te hais puisque tu ne m’aimes pas ». Alors pour se protéger de ses doutes et tenter de conserver son estime de soi, l’individu peut en conclure que ses problèmes proviennent des autres, de l’environnement et du monde autour de lui.
La confiance et la peur qui sont à l’origine des expériences primaires de tout être humain constituent les clés essentielles pour comprendre les personnes et les systèmes sociaux. Quand la confiance est élevée, les individus et systèmes fonctionnent bien ; en revanche quand la peur prend le dessus, ils tombent en panne et courent le risque de s'auto-détruire. La peur non comprise conduit souvent au repli sur soi, au rejet de l'autre, au mensonge et à des choix destructeurs. La confiance libère la créativité et permet de focaliser son énergie sur la création et la découverte de soi et des autres.
"La confiance me donne ma liberté et la peur la dissout.[3]"
Pour en savoir plus
Je vous invite aussi à lire cet ouvrage : « Leaders, inspirez confiance »
Références
[1]Voir André Compte-Sponville, « Bonjour l’angoisse ! », in Confrontations psychiatriques, février 1995.
[2]Voir R. Chappuis, Les Relations humaines : la relation à soi et aux autres, Vigot, 1994.
[3]J. R. Gibb, Trust, A new view of personal and organizational development, The Guild of Tutors Press, 1978.