Les nouvelles compétences du responsable formation (1)
La fonction formation connaît quelques difficultés pour assurer son juste positionnement. Maîtriser le processus d'élaboration et du déploiement d'une offre de formation synchronisée aux besoins en compétences individuels et collectifs, actuels et anticipés, dédier l'essentiel de son effort aux activités dont la valeur ajoutée est perçue par les clients internes, prouver la contribution de la formation à la valeur : autant de défis auxquels la fonction formation est confrontée actuellement.
L'avenir de la fonction formation est sans doute dans la définition donnée par la revue "Chief learning officer" : "responsable du développement des processus et des systèmes pour capitaliser, manager et développer le capital intellectuel de l’organisation". Au delà de l'organisation de "formations", il s'agit bien d’améliorer l’efficience de l’organisation en développant la connaissance et les compétences des individus, des équipes, et de l’entreprise dans son ensemble.
Vision plus systémique, compréhension des métiers et du marché, meilleur positionnement au coté des directions opérationnelles, voici les ingrédients nécessaires au regain de légitimité d'une fonction qui requiert de nouvelles compétences.
Pour décrire ces nouvelles compétences, je propose d'utiliser les axes d'analyse du travail proposés par Francis Minet, dans son livre "L'analyse de l'activité et la formation des compétences" (L'Harmattan).
- L'axe technique est relatif aux procédés, aux équipements, à l'organisation du travail, aux connaissances et savoir faire requis.
- L'axe relationnel est relatif aux relations des différents acteurs (internes et externes) impliqués dans les situation de travail de l'emploi considéré.
- L'axe stratégique renseigne sur l'importance de l'activité par rapport au reste de l'entreprise.
- L'axe démographique se préoccupe du parcours, de la formation initiale, des détenteurs de la fonction.
Sur ces quatre axes, voici, de mon point de vue, les évolutions clés de la compétence requises des responsables formation. Précisons qu'il ne s'agit nullement ici de faire l'analyse exhaustive de cet emploi, mais de dégager des axes d'évolution.
Dans ce premier billet, je parlerai de l'axe technique. Les trois autres seront à suivre dans un deuxième billet.
Formation d'adultes
Un champ de savoir et de savoir faire est à maintenir, à développer, quelques fois tout simplement à retrouver : c'est le corpus spécifique de savoirs et de pratiques rattachés à la formation des adultes. Il touche aux sciences cognitives, aux sciences de l'éducation, aux savoir faire de la conception de formation. Je constate quelque fois le déclin de ce savoir faire dans des entreprises où il a existé. Mais si cette connaissance spécifique n'est pas développée, qu'est ce qui justifie l'intervention particulière des acteurs de la formation ? Faute de la revendiquer comme une condition de l'efficacité des actions, la conception sera reprise par les services opérationnels.
Business et métiers
Tout en tenant ferme sur ces savoirs fondamentaux du métier, le RF doit également développer sa connaissance des métiers de l’entreprise, de son marché, de l’environnement concurrentiel. Il doit comprendre les enjeux de ses interlocuteurs internes, identifier les facteurs quantitatifs et qualitatifs d’évolution des emplois. Ceci afin de retrouver un meilleur positionnement dans la chaîne de décisions, d’acquérir une vision plus globale et systémique de l’entreprise, et de mieux articuler les processus formation à la GPEC.
Systèmes d’information
La question n’est pas seulement de former, mais de mettre les salariés en capacité d’apprendre. Les dispositifs de formation d’aujourd’hui prennent en compte et facilitent les apprentissages informels, les échanges entre pairs, l’accès à l’information à la demande pour résoudre les problèmes en situation. Ils se préoccupent de la contextualisation des savoirs et des pratiques. Le système d’information de l’entreprise est sollicité, pour porter les réseaux d’échange, les supports de co-production et de partage de la connaissance, les aides en ligne, et, sur un autre plan, la lisibilité et la traçabilité des actions menées. Sans devenir un spécialiste, le RF doit pouvoir dialoguer avec prestataires et DSI interne pour promouvoir des solutions correspondant aux besoins des usagers.
Accompagnement des personnes et des équipes, accompagnement du changement
Les modalités de développement des compétences doivent être adaptées aux problématiques rencontrées par les utilisateurs sur le terrain.
Des pratiques de références peuvent être embarquées dans des stages ou modules e-learning « standards », ou encore transmises au travers d’un tutorat de type compagnonnage, le formateur ou le tuteur étant le garant de la « bonne pratique ».
Mais ces modalités de développement de la compétence sont insuffisantes lorsque la maîtrise des activités dépend étroitement de la fine compréhension des données du contexte, que le changement est tel qu’il n’y a plus de pratiques de références, ou que l’environnement est profondément évolutif ou aléatoire (voir les écrits de B. Masingue). Il faut alors recourir à d’autres formes d’accompagnement, ou de « formation action », très adossées au contexte, et le formateur, ou le tuteur, s’approchent alors de la figure du coach. Il ne s’agit plus tant de « transmettre » que d’accompagner l’émergence de pratiques professionnelles à inventer.
Ces modalités se combinent dans les dispositifs, des modules « standards » venant s’articuler avec des phases de mises en situation, d’accompagnement au plus près de la situation de travail.
Afin de proposer le bon dispositif, le RF d’aujourd’hui doit pouvoir situer l’action de développement des compétences : où se situe vraiment la difficulté de l’écart de compétences à combler ? Existe-t-il un corpus de pratiques de références ? Est il suffisant pour résoudre les problèmes en situation de travail ? La prise en compte du contexte est elle importante ou peu importante pour la maîtrise des activités ? L’environnement est il stable ou instable ?
Des compétences d’analyse du travail, mais aussi de conduite du changement, sont ici nécessaires. Elles amèneront le RF à sortir de la « prescription formation » (training) pour s’intéresser au « meilleur dispositif d’apprentissage » (learning).
Des clés de lecture des organisations et des jeux d’acteurs sont aussi bien précieuses pour éviter de foncer tête baissée dans « la réponse formation au besoin formation exprimé » : prendre du recul, analyser les enjeux des parties prenantes, anticiper les risques, diagnostiquer ce qui relève de la formation, évitera bien des gaspillages…
Evaluation
Comme je l’évoquais dans un billet précédent, la fonction formation ne peut plus éluder la question de l’efficience de son action, de sa contribution à la valeur. Cela nécessite un outillage conceptuel, mais aussi un positionnement suffisamment affirmé pour impliquer les responsables opérationnels dans la formulation des objectifs, le suivi de l’application de la formation, l’évaluation du transfert et de l’impact.
Tant de compétences à développer, dans des domaines différents et en mouvement... un défi passionnant !