CPF, où en est-on ?
La réforme de la formation de 2014 à peine mise en place, une autre s’annonce. Prenons le temps de faire le point sur l’un de ses dispositifs phares, le Compte Personnel de Formation. Le baromètre Cegos de la Formation Professionnelle pour 2017 nous indique que les salariés et les fonctions ressources humaines des entreprises de plus de 50 personnes se le sont relativement bien appropriés. Le bilan de sa mise en œuvre, récemment dressé par plusieurs rapports, les critiques et les propositions d’amélioration, nous aideront à déchiffrer la future réforme.
Au fait, le CPF, c’était fait pour quoi ?
Dans son « Bilan d’étape du déploiement du Compte Personnel de Formation », l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) rappelle les objectifs initiaux du CPF :
- Autonomie des personnes dans le choix de formation,
- Réorientation des financements et de l’offre de formation vers la montée en qualification,
- Réduction des inégalités d’accès à la formation.
Il est intéressant de noter également ce rappel du Conseil National de l’Emploi, de la Formation et de l’Orientation Professionnelle (CNEFOP*), dans son deuxième rapport annuel sur la mise en œuvre du CPF et du Conseil en évolution professionnelle (CEP).
Le CPF, indique le rapport du CNEFOP, a été conçu pour « fédérer les financements existants, et ainsi favoriser la solvabilisation d’un maximum de projets de formation qualifiante grâce à l’effet levier que représente le financement garanti des heures acquises ».
Le même rapport pointe ce que le CPF n’est pas : « il n’est pas conçu comme un chèque confié au titulaire laissé seul face à l’organisme de formation ». C’est un « droit individuel régulé », qui fait reposer sur les financeurs la responsabilité d’assurer l’intermédiation nécessaire entre les individus et l’offre de formation pour garantir des financements au meilleur rapport qualité/ prix, et par voie de conséquence limiter, autant que faire se peut, les restes à charge supportés par les individus ».
Consultez les formations Cegos éligibles au CPF
Et finalement, c’est utilisé par qui et pour quelles formations ?
Le rapport du CNEFOP fait état d’une rapide montée en charge du CPF, plus rapide qu’elle ne l’avait été pour le DIF. Selon le rapport de l’IGAS, à fin mars 2017, 849 000 dossiers de formation ont été validés, près des 2/3 par des demandeurs d’emploi.
La durée moyenne des formations réalisées par les demandeurs d’emploi est de 370 h, et de 87h pour les salariés. 40% des dossiers ont mobilisé les seules heures acquises au titre du CPF (source : CNEFOP)– les autres ont donc fait l’objet d’un abondement.
Les personnes disposant d’un niveau de qualification V (équivalent au CAP) ou infra représentent 52 % des dossiers validés et clos des demandeurs d’emploi, et 26% des salariés.
Ce qui est frappant, c’est la forte concentration des choix des certifications mobilisées.
La moitié des demandes de CPF vise une certification à l’inventaire – non qualifiante, donc. Moins d’un tiers de l’ensemble des certifications potentiellement mobilisables au titre des listes le sont réellement. « Les 10 types de formation les plus demandées représentent 1/3 des dossiers de demandeurs d’emploi et 60% des dossiers de salariés » (source IGAS). Le « top 3 » des certifications visées s’établit comme suit (source CNEFOP):
Demandeurs d’emploi | Salariés |
1-CLEA (socle de connaissances et de compétences professionnelles) | 1- BULATS (test d’anglais) |
2- SPI- Stage de Préparation à l’installation | 2- TOEIC (Test of English for International Communication) |
3- CACES (Certificat d’Aptitude à la Conduite en Sécurité) | 3- TOSA (bureautique) |
Côté salariés, mis à part l’accompagnement à la VAE qui vient en 4ème position, aucune des certifications visées dans le « top 10 » n’est qualifiante.
Les critiques
Autonomie des usagers ? Pas vraiment
La complexité du système limite l’autonomie des usagers, pointe le rapport IGAS. Voir à ce sujet les multiples « SOS » lancés sur ce blog par des demandeurs d’emploi ou des salariés en commentaire au billet « CPF, qui paye quoi et combien ? ». Ou encore certains des verbatim recueillis dans le rapport d’étude qualitative sur le CPF, mené par BVA pour l’IGAS (p 162 et suivantes).
Le manque d’autonomie peut provenir d’un manque de connaissance précise du dispositif, du système dans lequel il s’insère (le rôle de l’OPCA par exemple), de la difficulté de trouver « sa » liste de certifications éligible et connaître l’offre associée » (CNEFOP).
Côté demandeurs d’emploi, le taux de financement de 9€ de l’heure étant faible, les projets de formation sont systématiquement soumis à une décision – « ce qui n’était pas l’esprit de la loi » (IGAS).
Une forte proportion d’entreprises accompagne leurs salariés dans la mise en œuvre du CPF.
En témoigne les réponses à l’enquête Cegos.
- Côté DRH (189 DRH-RRH-RF interrogés, à propos du CPF)
- Côté salariés (1129 salariés d’entreprises de plus de 50 salariés interrogés)
Pour réaliser sa formation sur temps de travail, ou obtenir un abondement, le salarié a « un intérêt évident à négocier avec son entreprise l’usage de son CPF » (IGAS). Côté entreprise, l’opportunisme financier joue certainement dans l’accompagnement, et le « fléchage » du CPF vers des formations auparavant assurées au titre du DIF, voir du plan. « Le CPF intervient alors non pas en complément mais en déduction des dépenses consentis au titre du plan de formation » (IGAS).
L’appropriation du CPF par des actifs « acteurs de leur parcours professionnel », n’est donc pas aboutie, l’étude BVA pour l’IGAS parlant même à ce sujet de « dévoiement de la dimension d’autonomie ».
Réorientation des financements et de l’offre de formation vers la montée en qualification ?
On l’a vu, la majorité des dossiers portent sur des certifications à l’inventaire, qui ne sont pas rattachées aux grilles nationales de qualification.
Mais est-ce en soi si gênant ? Certes, le récent rapport du Conseil d’Orientation pour l’Emploi (COE, instance de concertation placée auprès du 1er Ministre) qui mesure l’impact de l’automatisation et de la numérisation sur l’emploi, nous dit que « la qualification des personnes demeure un atout et un rempart sur le marché du travail, dans le contexte de la révolution technologique actuelle ».
Mais il pointe aussi que « la question des compétences professionnelles est essentielle dans un contexte où le contenu des métiers évolue rapidement (…).
C’est donc l’enjeu de l’évolution des qualifications, qui est crucial, leur adaptation à un monde dans lequel « les compétences transversales (numériques, littératie, résolutions de problèmes), sociales (travail en équipe, collaboration) et situationnelles (capacité d’adaptation, d’apprendre à apprendre) sont déterminantes. Et plus largement tout le système de reconnaissance sociale des compétences. Tout le monde n’a pas besoin d’accéder à un instant « T » à une nouvelle qualification. Tout le monde a besoin d’apprendre en permanence, de manière formelle et informelle, et d’avoir la possibilité de faire reconnaître ses acquis.
Dès lors, l’ensemble des rapport précités pointe l’obsolescence de notre système de qualification : trop lent à évoluer, sans filtre pour des offres pas forcément adaptées aux besoins, conçu «en silo » par des acteurs institutionnels qui ne partagent pas de vocabulaire commun, ne font pas pleinement vivre l’approche en bloc de compétences, et ont des difficultés à répondre à « l’hybridation des contenus » des métiers.
Les listes de certifications éligibles au CPF étaient censées répondre au besoin d’orienter les titulaires vers des besoins recensés au niveau national (LNI), régionale (listes COPREF) et de branches. Mais, constate l’IGAS, «l’élaboration des listes « ne résulte pas d’une vision stratégique des besoins en compétences ».
Ce système aboutit à une offre jugée peu lisible, et qui reflète largement une « photo du passé ». En outre, remarque le CNEFOP, l’information sur les certifications et les formations restent confusément mélangées, avec de nombreuses sources d’erreurs.
Malgré tout, sans que l’on puisse parler d’enthousiasme, les 1129 répondants de l’enquête Cegos, et parmi eux tout particulièrement les employés et les ouvriers, restent globalement positifs dans leur appréciation du CPF.
De leur côté, les DRH-RF le perçoivent également comme un levier de professionnalisation et qualification, et un contributeur au maintien de l’employabilité des salariés les plus fragiles : noter les faibles taux de réponse « non certainement pas ». Les réponses « oui très certainement » baissent cependant par rapport à 2016. Peut être à cause de la focalisation du CPF du salarié sur des formations courtes aboutissant à des certifications langues et bureautiques qui ne correspondent pas forcément à un enjeu ?
Réduction des inégalités d’accès à la formation ?
De ce point de vue, comme on l’a vu plus haut, les personnes disposant d’un faible niveau de qualification sont plutôt bien représentées.
Le rapport du CNEFOP donne la ventilation des niveaux de qualification initiales, pour les personnes qui ont complété un dossier faisant figurer cette mention :
Au final, deux ans seulement après son entrée en vigueur, on peut dire du CPF qu’il a connu une progression rapide, mais que son l’utilisation ne correspond pas pleinement aux finalités qui lui étaient assignées. Il reste fragile, y compris pour son financement. D’où des propositions de réforme, à situer dans une refonte plus large de notre système de formation professionnelle. A suivre …
*Rappelons que, si l’IGAS est un corps de contrôle interministériel, le CNEFOP réunit l’Etat, les régions, les partenaires sociaux ainsi que les chambres consulaires. Il est une instance de consultation.