Comment les équipes RH peuvent-elles se préparer à gérer les transitions ?
Qu’elles soient sociétale, numérique ou environnementale, les transitions qui impactent aujourd’hui les entreprises poussent les professionnels des RH à réinventer leurs pratiques et à aller au-delà des obligations réglementaires. Quels défis attendent ces équipes RH ? Comment peuvent-elles embrasser l’ensemble des nouveaux sujets ? Voici nos pistes de réflexion.
De quelles transitions parle-t-on ?
Les entreprises, quelle que soit leur taille, sont confrontées aux problématiques de transitions. Ces dernières, liées les unes aux autres, sont de plusieurs ordres :
- La transition écologique : l’objectif est de réduire au maximum son impact environnemental et intégrer la transition énergétique comme un objectif à part entière de sa stratégie RSE ;
- La transition numérique : ici l’objectif est d’opérer sa mue vers le digital afin que l’entreprise reste compétitive dans l’environnement de demain et sache saisir de nouvelles opportunités ;
- La transition technologique : l’entreprise vise à s’outiller de solutions qui lui permettront d’automatiser un certain nombre de tâches à faible valeur ajoutée ;
- La transition sociétale : la raison d’être de l’entreprise est redéfinie, par exemple ses notions de gouvernance, de performance, de conditions de travail, de pratiques commerciales… ;
- La transition managériale : fin du modèle descendant où la hiérarchie est aux commandes, place à un modèle plus horizontal où chacun apporte sa pierre à l’édifice.
Au sein de l’entreprise, aucune fonction n’échappe à ces grandes transitions. Mais s’il y en a une qui est vraiment aux premières loges de ces transformations, c’est la fonction ressources humaines. « Les équipes RH sont face à un double enjeu : se transformer elles-mêmes et accompagner la transformation de son organisation, notamment de ses métiers et de ses compétences », explique Anne Keravel, directrice de projets chez Cegos et experte des sujets réglementation et prospective compétences.
Une fonction fortement mobilisée par le réglementaire
Les équipes semblent démunies face à l’ampleur du défi. Peu sont organisées et équipées pour mener l’ensemble des chantiers rattachées à leur fonction ; beaucoup ciblent leurs combats, par pragmatisme, nécessité, obligation. « Depuis plusieurs décennies, les gouvernances d’un grand nombre d’entreprises ont drivé les fonctions support, y compris RH par une approche financière et de centre de coût. Elles ont considéré les transformations comme une source de dépense, plus que comme une opportunité de soutien à la stratégie de l’entreprise. Les équipes RH ont compensé en externalisant des activités comme la paie, la gestion administrative de la formation ou de l’alternance, le recrutement et ne se sont pas outillées à la hauteur des enjeux RH et formation qu’elles doivent atteindre alors même que leur rôle est clé dans le futur développement économique de l’entreprise », constate Anne Keravel.
La direction RH ne reste pas inactive pour autant. Depuis la crise sanitaire, la fonction RH devient stratégique au sein des organisations. Elle revendique davantage sa place au sein des comités de direction, prend part aux décisions… « En France, la fonction RH est fortement mobilisée par un droit social complexe et une problématique quasi généralisée à tous les secteurs, des tensions de recrutement et un manque d’attractivité. Et concomitamment, elle doit anticiper les besoins en compétences et accompagner les changements pour garantir la performance organisationnelle de l’entreprise », rappelle notre experte.
Si la fonction RH a pris conscience de l’évolution de ses missions, selon la taille de l’entreprise et les ressources à sa disposition, le déploiement d’une feuille de route RH reste encore difficile. « Il subsiste une scission entre les attendus et l’endroit où elle est réellement, car l’urgence (recrutements, mobilités, formations obligatoires...) mobilise prioritairement », constate Anne Keravel.
Si on se concentre sur la seule transition digitale par exemple, le virage n’a pas encore été pris par toutes les entreprises. Certaines n’ont pas encore pris le temps de se former sur des sujets d’avenir comme l’intelligence artificielle, la data, la digitalisation des parcours professionnels, des parcours d’intégration, des entretiens professionnels par exemple. Or, « elles auraient gagné du temps à être mieux outillées, à disposer de meilleures ressources, ne serait-ce que pour être davantage dans l’anticipation », souligne-t-elle. Malheureusement, le tableur Excel reste encore leur principal outil, ne leur permettant pas d’être véritablement réactives dans la gestion prévisionnelle des compétences, par exemple.
Quels sont les défis à relever pour la fonction RH ?
Aujourd’hui, les professionnels RH sont attendus pour accompagner les changements induits par les multiples transitions technologique, numérique, environnementale et sociétale. Or, avant de vouloir transformer leur organisation, ils doivent être en mesure de monter en compétences sur plusieurs sujets. « Avec le recul du départ à la retraite, 4 générations de collaborateurs vont cohabiter dans l’entreprise, avec des attentes RH, des manières de communiquer et d’apprendre qui leur sont propres. Le premier défi à relever estde personnaliser davantage sa politique RH afin de s’adresser à tous. Cela suppose d’être dans une approche servicielle vis-à-vis de ses collaborateurs, qui doivent être considérés comme des clients internes », explique Anne Keravel. Pour y parvenir, la fonction RH peut mobiliser des groupes de travail et s’appuyer sur l’intelligence collective.
Le second défi de la fonction RH est de s’impliquer davantage dans la politique RSE de l’entreprise voire de prendre le rôle de chef d’orchestre, selon Anne Keravel. Or, aujourd’hui, lorsqu’ils ne réalisent pas des tâches administratives à faible valeur ajoutée (gestion RH et des plans de formation…), ces professionnels sont prioritairement à la manœuvre sur les sujets qui sont embarqués par la contrainte réglementaire : parité, handicap, bien-être au travail, conditions de travail, emploi des seniors, mobilités…
Désormais, ils doivent donc s’emparer de ces sujets RSE, sans doute en inventant des modes de coopération qui répondent mieux aux attentes des parties prenantes de l’entreprise, en développant un engagement individuel et collectif au projet d’entreprise. Pour construire une solide attractivité, la fonction RH, avec le management, doit réussir à embarquer les salariés pour qu’ils soient plus directement associés à la réussite, pour gagner en agilité et en performance collective. Cet engagement tripartite (management/salariés/RH) sera un gage de réussite dans les changements à venir.
Comment la fonction RH peut-elle s’outiller ?
Au-delà de se former, la fonction RH a tout intérêt à se doter d’outils numériques dédiés à la gestion de ces projets mais aussi pour mener à bien l’ensemble de ses nouvelles missions. Ces outils pourraient l’aider à collaborer plus efficacement avec d’autres services de l’entreprise. « Le design fiction et le design thinking, les outils de facilitation et d’intelligence collective sont des outils innovants qui lui permettraient, par la même occasion, de développer ses capacités d’innovation et de médiation pour accompagner le changement et la posture managériale », détaille notre experte règlementation et prospective compétences. Pour se préparer aux enjeux de demain, la fonction RH a tout intérêt également à muscler sa culture sur les métiers de l’entreprise, leurs évolutions et se rapprocher du terrain. « C’est un prérequis essentiel pour comprendre comment les métiers évolueront, pour anticiper les besoins en termes de formation et d’organisation ».
Dans la boîte à outils des RH, les méthodes favorisant la créativité et l’intelligence collective seront également les bienvenues. « Trop longtemps, la fonction RH s’est positionnée comme un service au service des salariés. Aujourd’hui, on attend d’elle qu’elle soit proactive, force de propositions en interne et qu’elle prenne les devants. Comment passer du "penser pour" au "penser avec" et s’assurer de répondre vraiment aux besoins de chaque typologie de salariés. Le mode projet agile, la transversalité doivent s’inviter plus souvent dans les pratiques RH et managériales », souligne Anne Keravel.
Cela suppose que l’ensemble de la fonction RH réalise un travail de veille sur les sujets de RSE, d’innovation technologique comme l’IA générative, l’éthique du numérique, mais aussi, en suivant des webinaires, en allant à la rencontre de start-up sur les salons, en rencontrant ses pairs qui avancent sur le sujet et bien entendu en se formant !
Cette posture est portée par les directions RH et formation mais doit être élargie aux chefs de projets RH. Par ce biais, la fonction RH se dotera d’une vision projective, réflexive et d’une agilité nécessaires à la future transformation de son entreprise. Elle donnera en outre l’occasion à ses équipes d’être porteuses et ambassadrices de ces nouvelles compétences.