Combien vaut votre CPF ?
Le projet de loi « Avenir professionnel » prévoit la monétisation du CPF. Dans le courant de l’année 2019, une bascule sera opérée, et les compteurs actuellement exprimés en heures le seront en euros.
Mais quelles seront les heures prises en compte ? A combien s’élèvera cette valorisation ? Et quelle "valeur" accorder au compte, au-delà de son montant monétaire ?
Combien d’heures de votre CPF seront converties en euros ?
Depuis le 1/01/2015, les salariés travaillant à plein temps sans interruption ont cumulé 24 heures de CPF par an. Au 1er janvier 2018, celui qui n’a pas mobilisé son CPF a donc capitalisé 48 heures.
Mais beaucoup d’entre nous avait précédemment acquis un compteur « DIF ». Et nous avons renseigné ces heures lors de la création de notre compte, sur « mon compte activité.gouv.fr »
Ainsi, si je me connecte à mon propre compte, apparaît le solde suivant :
Donc la première question est de savoir quelles sont les heures qui seront valorisées : le CPF uniquement (48h dans l’exemple ci-dessus), ou bien le cumul CPF + DIF = 138 heures dans l’exemple ci-dessus ?
Le projet de loi est très clair à ce sujet (180) :
«Les heures acquises au titre du compte personnel de formation et du droit individuel à la formation au 31 décembre 2018 sont converties en euros selon des modalités définies par décret ».
Fuzi Fehti, juriste-consultant à la direction juridique de Centre Inffo, confirme cette lecture du texte : pour la monétisation, le plafond de 150 heures, qui s’appliquait à la mobilisation du CPF, n’entre plus en ligne de compte.
A quel montant la conversion sera-t-elle effectuée ?
Le projet de loi renvoie à un décret. Et précise que ce montant pourra être révisé, sur avis de France Compétences (la nouvelle instance de régulation du système de formation professionnelle). Cet avis prendra en compte l’évolution des prix, particulièrement l’observation des coûts des organismes de formation.
Et cette modification pourra impacter les plafonds annuels d’acquisition du CPF, qui devraient s’élever à 500€/an, ou 800€/an pour les personnes non titulaires d’un niveau de qualification équivalent au niveau V.
Pour l’instant, la seule indication que nous avons sur le montant de la valorisation de l’heure de « CPF-DIF » est une déclaration de Murielle Pénicaud lors d’une rencontre avec des journalistes de l’Ajis, le 15 mars dernier.
« Nous avons étudié le coût moyen d’une heure de CPF aujourd’hui - entre 12 et 13 euros -, et décidé d’aller au-delà : l’heure de CPF sera valorisée à hauteur de 14,28 euros. », a-t-elle déclaré (source : New Tank RH).
Prenons un salarié qui travaille à plein temps sans interruption depuis la création du DIF, et qui n’a jamais mobilisé ni DIF, ni CPF.
Il a 120 heures de DIF au compteur, auxquelles viendront s’ajouter, au 1er janvier 2019, 72 heures de CPF. 120 + 72 = 192 heures.
Soit une valorisation qui peut actuellement être anticipée, dans ce cas, à : 192 h. x 14,28 € = 2741 euros.
Dans un pays où le salaire net mensuel médian s’élève à 1772 euros (chiffre 2017, source : INSEE ), cela peut impacter des comportements.
Découvrez les formations Cegos éligibles et finançables avec le CPF
Monétisation du CPF, qu’est ce que cela change ?
L’hypothèse à l’origine de la monétisation est que cela rend le dispositif : « plus simple et plus lisible pour les gens » (déclaration de Stéphane Lardy, Dir. Adjoint du cabinet de Mme Pénicaud, lors d’une réunion de l’AFREF du 22 mars 2018). Le CPF devant vivre comme un « droit personnel sans intermédiation », la monétisation donne au bénéficiaire une information directement lisible, et facile à mettre en rapport avec l’offre existante. L’idée est donc que cette monétisation facilitera l’usage du dispositif.
On peut effectivement penser qu’il est plus facile de se mettre en projet à partir d’un montant en euros, qu’à partir d’un nombre d’heures.
Interrogés par Cegos pour le baromètre de la formation professionnelle 2018, les salariés français interrogés donnent une courte avance à un projet « professionnel » par rapport à un projet « personnel :
La vraie valeur du CPF se trouvera dans les projets dont le compteur facilitera la mise en oeuvre.
"Pouvoir d'agir ou pouvoir d'achat" ?
Telle est la question que posait Jean-Marie Luttringer lors de passionnants échanges à la soirée "dispute-action" organisée par l'AFREF jeudi dernier.
Dans une société de l'incertitude, le sujet "sommé d'être responsable pour lui même et de faire des choix éclairés par lui "même" (P. Waeles), se voit "doté d'un viatique pour augmenter sa mobilité, y compris pour passer d'un statut à l'autre" (JM Luttringer). Le pari du CPF monétisé est de donner "la capacité d'agir", car d'autres tentatives ont montré que les systèmes de prescription étaient inopérants pour engager en formation.
Patrick Waeles, en introduction, nous rappelait que la liberté d'agir relève de l'émancipation, qui passe par la "prise de conscience de ce que je suis, et de mes appartenances. L'émancipation ne concerne pas que l'individu pris isolément, elle se situe dans un système. Et Philippe Debruyne confirme "s'émanciper n'est pas qu'une question de volonté personnelle, c'est la remise en cause du cadre social dans lequel on est. L'idée que l'on a du pouvoir "avec", et "sur". Dans l'émancipation, il y a donc quelque chose qui relève du politique".
Au final, conclut René Bagorski,
"c'est le projet qui est à la base, pas l'accompagnement des gens dans des projets qui ne sont pas les leurs".
L'enjeu du CPF ne se limite donc pas à une logique de sécurisation des parcours professionnels. Ce que vaudra votre CPF, c'est ce que vaudra à vos yeux le projet qu'il contribuera à matérialiser, dans votre liberté "d'oser être soi" (R. Bagorski) - cette liberté qui n'est jamais donnée, qui se prend.
J’aurai l’occasion de revenir sur la valeur du CPF lors de notre prochain webinar spécial Réforme programmé le 12 juillet. N’hésitez pas à vous inscrire pour faire un dernier point avant l’été sur ce qui va changer.