La valorisation des entreprises naissantes 1/3
Evaluer une entreprise relève souvent plus de l’art que de la science. Dans les nombreuses occasions qui m’ont été données de le faire, la situation m’imposait de redéfinir le cadre conceptuel et les méthodes à utiliser, si bien que chaque situation est différente. Devoir mener cet exercice sur une entreprise naissante (start-up) relève du défi. En effet, bon nombre de concepts acquis en finance d’entreprise et de méthodologies éprouvées ne s’y appliquent pas. Il faut alors se ‘réinventer ‘ et, comme souvent, partir de ce que l’on connaît pour aller s’aventurer dans un domaine inconnu mais révélateur de beaucoup de richesses.
Je tente ici de dresser un panorama synthétique et nécessairement incomplet des approches méthodologiques connues et moins connues pour valoriser une entreprise naissante. Le lecteur avisé reconnaîtra que le sujet mérite approfondissement et que la portée de cet article est volontairement non technique.
La méthode des flux futurs actualisés ou Discounted Cash Flows (« DCF »)
Les caractéristiques de la méthode DCF
Cette méthode est la plus connue et la plus expérimentée.
- Elle mesure la valeur intrinsèque attachée à un actif générateur de revenus nets futurs.
- Cette méthode dépend du temps durant lequel ces cash flows sont produits, de leur taille et de leur caractère prévisible.
- Cette approche comprend un horizon explicite (environ 7 à 10 ans) et un horizon implicite (au-delà de l’explicite) couvert par la valeur terminale. Cette valeur terminale est le plus souvent calculée sur la base d’une rente perpétuelle croissante ou bien d’un multiple de sortie à horizon basé sur un agrégat de profitabilité ‘cœur’, c'est-à-dire l’EBE ou le résultat d’exploitation.
Les limites de la méthode des flux futurs actualisés
- Pour bâtir les flux futurs, on se base sur un plan d’affaires. A quel point pouvons-nous être confortables par rapport au plan d’affaires fourni, dans sa pertinence et dans son degré de détail ?
- Nous ne disposons d’aucun référentiel historique auquel se raccrocher pour se rassurer, ce qui est souvent le point d’attache de l’évaluateur pour une société établie.
- Le DCF est sensé évaluer la performance économique des actifs existants et des nouveaux actifs dans lesquels l’entreprise investit. Il mesure aussi l’efficacité opérationnelle réalisée (gains de productivité) sur l’outil existant. Or, les sociétés naissantes n’ont pas ou très peu d’actifs à l’origine, l’essentiel de leur croissance provenant d’actifs de croissance dans lesquels ils investiront.
- L’importance relative de la valeur terminale (70-80% de la valorisation totale pour une entreprise établie, près de 100% pour une start-up) est exacerbée dans le cas d’une start-up, donnant à l’investissement un caractère binaire ressemblant à un pari.
- Le taux d’actualisation est primordial car il influence la valorisation finale. Se reposer sur des comparables pour l’estimer est périlleux, notamment en ce qui concerne le bêta (quantité de risque pris), un des composants du taux requis par les investisseurs. Dans un DCF, ce paramètre joue un rôle fondamental et doit donc être très bien structuré pour ne pas tomber dans une trappe.
- Avant d’aller se plonger dans la feuille Excel, il est aussi vital de se poser quelques questions cruciales et logiques sur l’articulation du plan d’affaires. Notamment, sur le type d’approche retenue : est-on en face d’une entreprise sans contrainte d’accès au capital ? Si c’est le cas, on devra s’assurer que la démarche suivie est cohérente : identification de son marché potentiel, du rôle que l’on entend y jouer…Un point fondamental est l’adéquation de la vision stratégique et de l’objectif visé à terme avec les moyens mis en œuvre : les investissements et le besoin en fonds de roulement budgétés sont-ils en ligne avec la stratégie ?
- Dans le cas de contrainte dans l’accès au capital, c’est la capacité de levée de fonds de l’entreprise qui dicte le niveau d’investissement et de Besoin en Fonds de Roulement mobilisables et au final la part de marché atteignable par l’entreprise (donc son positionnement compétitif).
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La First Chicago Method (un DCF avec multiple scénarios)
Les principaux traits de la First Chicago Method
Cette méthode, qui tient son nom de la banque qui l’a utilisée au départ, ne diffère que très peu de la méthode des DCF.
- Elle détermine le résultat de trois scénarios et actualise ces scénarios à un taux réaliste. Chaque scénario se voit assigner une probabilité d’occurrence et la valeur d’entreprise est la somme pondérée de ces 3 scénarios.
- Elle est flexible (ajustement des flux et des taux d’actualisation pour chaque scénario), repose sur le DCF et intègre une certaine notion d’optionalité (au travers des 3 possibilités) absente de l’approche DCF.
Les limites de cette méthode
- L’approche est très axée sur le jugement humain : qui détermine les poids relatifs à accorder à la probabilité d’occurrence de chaque scénario et pourquoi ?
- L’approche par scénario peut conduire à une forte disparité entre la valorisation de l’investisseur et celle de ses fondateurs, différence souvent irréconciliable car ces derniers ne sont pas prêts à accepter de tourner des scénarios alternatifs au scénario ‘sponsor’ (le leur) fortement dégradés.
- Elle doit être malheureusement répétée à chaque tour de table de financement dans l’optique de maintenir le taux de rendement visé par l’investisseur. De ce point de vue, sa mise en œuvre est assez lourde même si sa conception est flexible.
- Le taux d’actualisation utilisé à chaque tour de table devra évoluer. Compte tenu des étapes de développement que connaît une start-up, il est souhaitable d’adapter le taux d’actualisation au fur et à mesure de l’évolution de l’exécution de son plan d’affaires.
Dans le second volet de cet article sur la valorisation des start-up, nous nous concentrerons sur la méthode des multiples et l’approche des Venture Capitalists.
Article rédigé par Patrick Daguet, Directeur académique de l'Exécutive Mastère Spécialisé® Direction Financière de l'IÉSEG et Cegos.