Très peu de responsables financiers utilisent actuellement le Bitcoin ou autres crypto monnaies dans leur entreprise. Le Bitcoin a toutefois énormément fait parler de lui en 2017 car son cours s’est littéralement envolé avant d’amorcer un net recul en ces derniers jours de l’année. Instrument d’échange, outil de placement, valeur refuge, bulle spéculative sans lendemain ? Les analystes estiment qu’il constitue un « objet financier très difficile à appréhender ». Dans tous les cas, il est indispensable pour tout financier d’avoir un minimum de culture à ce sujet.

Qu’est-ce que le Bitcoin ?

Le Bitcoin constitue la première et la plus célèbre des monnaies virtuelles ou crypto monnaies et également la première à avoir été créée, en 2008 par un japonais dénommé Satoshi Nakamoto. Comme Homère, l’auteur de l’Odyssée, Satoshi Nakamoto semble ne pas avoir existé mais être le pseudonyme derrière lequel s'est regroupé un petit groupe d’informaticiens anonymes. La blockchain est la technologie servant de support à cette monnaie.

Il ne faut pas confondre les crypto-monnaies avec la technologie qui les supportent, la blockchain. Si de nombreuses autorités monétaires expriment leur méfiance vis-à-vis du Bitcoin, il n’en va pas de même à l’égard de la Blockchain.

Bruno Lemaire, ministre français de l’Économie et des Finances affichait mi-décembre toute sa circonspection à l’égard :

d’un « actif spéculatif* » qui « peut dissimuler toutes sortes d’activités évidemment illégales ».

Dans le même temps, le conseil des ministres adoptait une ordonnance autorisant la transmission de titres financiers non cotés au moyen de la technologie "blockchain", saluant au passage le caractère novateur et sécurisé de cet outil.

D’autres monnaies virtuelles ont depuis été créées, Litecoin, Peercoin, Monero, Ethereum,… qui pour la plupart s’inspirent du Bitcoin qui demeure celle principalement utilisée.

Les crypto monnaies constituent aujourd’hui une monnaie alternative car elles n’ont pas de cours légal, leur valeur n’est garantie ni soutenue par une Banque centrale ou institution. Elles s’échangent directement d’ordinateur à ordinateur sans transiter par une banque jouant le rôle de « tiers de confiance », comme on le ferait pour un paiement par porte-monnaie électronique. Les transactions sur le Bitcoin s’inscrivent sur un ensemble de grands livres partagés entre un grand nombre d'ordinateurs de par le monde appelé Block Chain (ou chaînes de blocs) qui retracent l’ensemble des transactions depuis son démarrage. Le caractère inviolable de ce procédé cryptographique garantit l’utilisation de cette monnaie.

Quelle confiance peut-on avoir envers les crypto monnaies ?

Les monnaies de l’antiquité consistaient en des pièces d’or ou d’argent. La confiance dans la monnaie reposait sur le caractère rare et inaltérable de ces métaux. Ensuite, les billets et pièces en circulation ne furent plus en métal précieux mais leur valeur était garantie par le stock d’or détenu par la banque centrale, les monnaies étant alors convertibles en or par tout individu. Les accords de Brettons Woods de 1944 consacrèrent la fin de la convertibilité des monnaies en or, à l’exclusion du dollar américain. En 1971, les Etats-Unis abandonnèrent la convertibilité du dollar en or pour avoir plus de liberté dans l’expansion de leur masse monétaire nécessaire pour accompagner la croissance.

La confiance dans la monnaie reposait sur la capacité à la convertir dans un actif sous-jacent dont la valeur était reconnue par tous, l’or. Cette confiance repose désormais sur la confiance dans l’économie du pays ou de la zone économique qui l’a émise.  Le lien est établi entre la valeur de la monnaie et l’économie du pays par la notion de cours légal, la monnaie qui a cours légal ne peut être refusée pour les paiements.

Le cours de change d’une monnaie repose fondamentalement sur l’offre et la demande de cette monnaie qui repose elle-même sur  son économie. Ainsi, un pays ayant un solde du commerce extérieur positif verra le cours de sa monnaie augmenter car les acheteurs étrangers l’achèteront pour régler leurs achats. La demande pour la monnaie augmentera également si de nombreux agents économiques extérieurs investissent dans le pays.

La confiance dans l’économie constitue donc l’actif  qui sous-tend la valeur de la monnaie, les agents économiques de ce pays étant de toute façon contraints de l’utiliser dans le cadre de leurs échanges. Le dollar américain constitue un cas particulier, les Etats-Unis peuvent maintenir un déficit commercial important sans dépréciation du dollar car leur monnaie est utilisée pour les échanges internationaux. Ainsi, le cours du dollar tend à augmenter lorsque le cours du pétrole augmente car davantage de monnaie est nécessaire pour régler les transactions en cette matière première.

Les partisans du Bitcoin affirment quant à eux que la confiance envers cette monnaie repose sur deux éléments essentiels :

  • Le caractère inviolable du procédé cryptographique de la Block Chain ;
  • Le fait que l’émission de bitcoins est limitée. Le nombre maximum de bitcoins a été programmé au maximum à 21 millions d’unités. Or, 16,5 millions ont déjà été créés grâce à la puissance de calcul des ordinateurs.

Force est toutefois de constater que la valeur des crypto monnaies n’est soutenue par aucun actif sous-jacent comme l’or et qu’elle ne repose pas non plus sur l’économie d’un pays.

Le Bitcoin est-il réellement une monnaie ?

Dans la revue DAF MAGAZINE de décembre 2017, l’avocat Thibault VERBIEST indique qu’aujourd’hui en France, les crypto monnaies ont le statut de bien, certes négociable, et non de monnaie.

Aristote avait assigné trois fonctions à une monnaie : étalon pour mesurer la valeur des choses, moyen de paiement dans le cadre des échanges et réserve de valeur (placement). Depuis, de nouveaux usages individuels se sont développés. La monnaie sert au financement des investissements par emprunt ou capital. En outre, certains agents économiques utilisent les devises pour réaliser des gains spéculatifs.

La monnaie ne se limite toutefois pas à des usages individuels, elle joue également un rôle public Elle constitue l'outil privilégié de la politique monétaire d’un état ou d’une institution monétaire comme la Banque Centrale Européenne. La mission première d’une banque centrale est de garantir le pouvoir d’achat de sa monnaie, d'éviter les excès d’inflation et la dépréciation sur le marché des changes. Elle agit notamment en fixant les taux directeurs auxquels elle finance les banques, le diminuant lorsqu’il s’agit de relancer l’économie et en l’augmentant pour éviter une pression inflationniste. La banque centrale augmente également la masse monétaire pour faciliter les échanges en période de croissance.

Les crypto monnaies ne remplissent que quelques-uns des rôles d’une monnaie que nous venons de définir.

Elles ne sont utilisées que de façon marginale comme moyen de paiement.

Certes, tout particulier peut acheter des crypto monnaies sur des plateformes spécialisées, comme Coinbase. En avril 2017, le Japon a également reconnu le Bitcoin et les autres crypto monnaies comme des modes de paiement légaux mais pas obligatoirement acceptés. Certains magasins « branchés » dans des zones touristiques proposent un paiement en crypto monnaie, essentiellement pour des raisons de communication marketing (Figaro du 3 décembre 2018 : « À New York, on peut acheter sa glace en bitcoin »). Le coût de transaction se révèle souvent prohibitif par rapport au montant de l’achat. La grande volatilité des crypto monnaies introduirait pour les entreprises un risque de change qu’elles cherchent habituellement à éviter.

Elles constituent un mode de financement pour certaines start-ups via les Initial Coin Offerings (ICO) émis sur la block chain.

Ce mode de financement certes non négligeable, 4 milliards de dollars émis en 2017, semble toutefois limité aux entreprises du secteur numérique. Ce mode de financement a permis à certaines startups de lever des fonds pour des montants très élevés. Il demeure toutefois lié à une bonne valorisation de la cryptomonnaie car les fonds levés doivent ensuite être convertis en monnaie à cours légal pour financer les investissements et payer les charges d'exploitation.

Force est de constater que l'engouement pour le Bitcoin repose essentiellement sur les perspectives de gains spéculatifs.

Quel avenir pour le Bitcoin ?

Une chose est certaine. Les avis sont très partagés sur l'avenir des crypto monnaies.

Selon Jamie Dimon, le PDG de la banque JPMorgan Chase & Co, "Le bitcoin est "fraude" qui va exploser en vol. Cette monnaie ne va pas marcher. On ne peut pas avoir un système où des gens créent une monnaie avec du vent et penser que les gens qui l'achètent sont vraiment malins", a-t-il dit lors d'une conférence à New York. Si des traders de JPMorgan échangent la crypto-monnaie, "je les licencierais dans la seconde, et ce pour deux raisons : c'est contraire à nos règles et ils sont stupides. Dans les deux cas, c'est dangereux", a ajouté Jamie Dimon.

Mi-décembre, le gouverneur de la Banque d’Angleterre refuse de voir dans les crypto monnaies une menace pour la stabilité financière. Il note toutefois qu’en raison de leur volatilité, elles se comportent davantage comme des actions que comme des devises.

Courant 2017, la banque américaine Goldman Sachs a annoncé son intention de se lancer dans le trading des crypto monnaies pour satisfaire les demandes de ses clients.

Début décembre 2017, le Chicago Board Options Exchange (CBOP), plus grand marché à terme d’actifs au monde a lancé avec succès le contrat à terme (future) sur le Bitcoin. Rappelons qu’un contrat à terme constitue un engagement ferme d’acheter ou de vendre un actif (devises, actions, matières premières,..) à une date et un prix convenus d’avance. Lors de la première journée de cotation, le cours à terme du Bitcoin est monté jusque 18 500 dollars pour se stabiliser en fin de séance à 17 500 dollars alors que le cours au comptant n’était que de 15 000 dollars reflétant des anticipations à la hausse de cette monnaie. Il convient cependant de préciser que le CBOP avait imposé des appels de marge conséquents pour se prémunir contre toute perte due  à la défaillance de ses clients.

Le gestionnaire d’actifs français TOBAM a lancé fin novembre 2017 le premier fonds européen de placement en Bitcoins. Il s’agit d’un fonds non régulé mais toutefois approuvé par l’AMF. Le gestionnaire admet que le fonds est exposé à un risque élevé dû à la volatilité de la crypto monnaie mais qu’il offre des avantages en termes de diversification de portefeuille dans un contexte global de rendements faibles.

Le Bitcoin n’a pas que des amis. Plusieurs mises en garde sévères ont été émises.

En novembre 2017, l’office national des changes du Maroc a annoncé l’interdiction des transactions en toutes monnaies virtuelles. Certains particuliers ou entreprises marocains avaient en effet commencé à accepter les paiements en Bitcoin notamment avec des entreprises étrangères, contournant ainsi la réglementation stricte sur le contrôle des changes.

Début décembre 2017, Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau émet une mise en garde extrêmement sévêre contre les dangers du Bitcoin : « Il ne doit pas y avoir d’ambiguïté : le Bitcoin n’est en rien une monnaie, ou même une cryptomonnaie. (…) C’est un actif spéculatif. Sa valeur et sa forte volatilité n’ont aucune base économique et il n’est la responsabilité de personne. La Banque de France rappelle à ceux qui investissent dans le Bitcoin qu’ils le font à leurs propres risques. »

Cette mise en garde fait écho à celle du vice-président de la Banque centrale européenne, Vitor Constancio, qui avait précédemment déclaré :

« Les investisseurs achetant des Bitcoin à un prix aussi élevé prennent d’importants risques. »

Le prix Nobel d’économie de 2014, Jean TIROLE apporte une triple critique argumentée au Bitcoin, il annonce qu’il faudrait l’interdire :

  1. Tout d’abord, il tire la sonnette d’alarme sur le risque de perte de valeur, déclarant que « Le Bitcoin est un actif sans valeur intrinsèque, rien ne protège les particuliers et agents financiers d’un éventuel effondrement… Son prix pourrait tomber à zéro si la confiance dans le système venait à disparaître » ;
  2. Il met ensuite en garde contre les dérives possibles des ICO : « annoncées comme un instrument de désintermédiation financière, les ICO négligent les fondamentaux de la finance : l’utilisation d’intermédiaires fiables et bien capitalisés pour suivre les projets ».
  3. Finalement, il s’interroge sur le rôle social de cette monnaie. « la création d’une monnaie devrait bénéficier à la communauté à travers un gouvernement qui dirige un budget,.., la création monétaire fournit traditionnellement au gouvernement des ressources supplémentaires ». Avec le Bitcoin, on assiste à la privatisation de la monnaie : « Les Bitcoins sont concentrés dans des mains privées, ce qui pose la question des politiques publiques pour quiconque voit la monnaie comme un complément nécessaire aux économies de marché ».

Plusieurs banques centrales estiment que le développement des crypto monnaies pourrait poser à terme un certain nombre de défis notamment sur leur capacité à mettre en œuvre la politique monétaire en agissant sur les taux d’intérêt pour contrôler la masse monétaire et les cours de change. En outre, il rendrait plus difficile le recueil des statistiques sur l’activité économique utilisées par les états pour orienter l’économie.

Pour la Banque Centrale Européenne, le Bitcoin constitue un moyen privilégié de blanchiment d’argent. L’anonymat semble toutefois relatif, les acheteurs ou vendeurs pouvant être identifiés au moment des transferts ou convertissements.

En conclusion, le risque est très élevé que la bulle spéculative éclate car les crypto monnaies n'ont pas cours légal et leur valeur n'est soutenue par aucun actif sous jacent. Lorsque le cours du Bitcoin s'arrêtera d'augmenter, les détenteurs commenceront à le vendre à la recherche de rendements sur d'autres actifs et un spirale déflationniste commencera. Les perdants seront les derniers à avoir acheté.

Ecrit par

Michel Sion

Spécialisé dans la finance d'entreprise, Michel Sion est responsable des offres de formation Trésorerie, Finance, Gestion et Comptabilité pour non spécialistes et Risque client.
En savoir plus
);","wrap":"page-section__container","bgColorParent":"","clientId":""} -->
newsletter image

Recevez nos newsletters

Formation, Management, Commercial, Efficacité pro

Abonnez-vous