Banque et assurance : comment CRD4 et Solvabilité 2 vont-ils résister face à la crise du Covid-19 ?

Pascal Kerebel

Les dispositifs de risk management CRD4 et Solvabilité 2, mis en œuvre après la crise financière 2008-2010, constituent des coussins de fonds propres contra-cyclique et visent à prévenir une situation d’insolvabilité d’une compagnie d’assurance ou d’une banque, face à une crise boursière, un risque souverain ou une accélération de facteurs de risques. Quelle efficacité peut-on imaginer face à la crise liée au Covid-19 ?

« Il arrive que l'histoire repasse les plats, mais ce sont rarement les meilleurs » aimait à dire le journaliste André Frossard. Et cela va peut-être se vérifier car de nouveau, personne n’a pu anticiper les conséquences catastrophiques, tant au niveau micro que macroéconomique du Covid-19, qui au départ est simplement classifié en tant que risque opérationnel dans la cartographie des risques bancaires et assurance.

Positionnement du risque Covid-19 dans la cartographie des risques Bâle 3/CRD4 et Solvabilité 2

La pandémie Covid-19 classifiée en tant que risque opérationnel, ne fait pas qu’impacter la continuité des processus de front, back middle office, et souscription/indemnisation.

Elle génère aussi des impacts collatéraux majeurs sur les autres catégories de risques cartographiés via CRD 4 et Solvabilité 2 :

  • Le risque crédit – que ce soit pour le marché particulier, professionnel ou entreprise,
  • Le risque de marché, via l’effondrement de la valeur des actifs financiers relevant tant du trading ou banking book pour la banque ou la valeur des actifs en représentation des provisions techniques pour le secteur assurance, et des inquiétudes associées aux risques de gap de taux et de liquidité,
  • Le risque opérationnel, via le déploiement des outils de gestion de crise (plan de continuité et communication de crise en particulier) et l’accélération de l’utilisation des canaux de distribution digitaux,
  • Le risque technique pour le secteur assurance, via l’accélération de l’activation des traités de co(ré)assurance, tant en cession qu’en acceptation en lien direct avec le scénario de pandémie du coronavirus.

Lire aussi : Normes internationales : consolidation des normes françaises


Impact du risque Covid-19 sur la gestion ALM et le risque de marché

Même si l’application de la norme IFRS 9 portant sur les instruments financiers diminue la volatilité des fonds propres et la baisse de ces derniers, il n’empêche que la crise liée au coronavirus va se traduire par une diminution substantielle de la juste valeur des actifs disponibles à la vente. Et en fonction de l’intention de gestion retenue, cette dernière se traduira soit par une diminution du résultat net, soit une diminution des fonds propres.

La pandémie actuelle a donc un double effet négatif, en accélérant :

  • Le risque de gap de liquidité (décrochage de la juste valeur des actifs, et retrait de dépôts à vue ou demande de remboursement de capitaux anticipée en assurance vie)
  • Le gap de taux, si la Banque Centrale Européenne décide encore d’une baisse des taux long terme face à la récession économiques des pays membre de l’UE imputable à la pandémie Covid-19. Cette dernière aura un impact très négatif dans le secteur assurance, car une baisse de taux se répercutera sur les rendements servis sur les fonds euros et rendra difficile l’engagement de rendement associé aux contrats en unités de compte.

Conséquences de la pandémie Covid-19 sur les risques opérationnels et l’activation des outils de gestion de crise

La crise du Covid-19amène forcément les banques et compagnies d’assurance à activer leurs plans de continuité d’activité et la communication de crise associée. Le déploiement de ces outils de gestion de crise est fortement corrélé au niveau de digitalisation des processus métiers en lien avec la relation client et à la capacité du canal digital à se substituer au canal physique.

La pandémie impacte aussi les dispositifs de conformité, de prévention de la fraude et du blanchiment de capitaux et financement du terrorisme.

Ainsi, le caractère très perturbant de la crise du Covid-19, augmente le niveau d’exposition aux risques de fraude, de blanchiment de capitaux et de cybercriminalité en général nécessitant le renforcement des dispositifs de prévention déployés par les banques et les compagnies d’assurance.

Le régulateur a communiqué fin mars /début avril 2020 sur des cas de fraude portant sur des investissements Forex et sur des produits dérivés associés à des cryptomonnaies.

Impact du risque Covid-19 sur le risque de crédit et la comptabilisation du coût du risque

La pandémie Covid-19 a un impact sur les prêts accordés à la clientèle, qui sera d’autant plus importante que la date annoncée pour le déconfinement sera éloignée. L’AMF a, via un communiqué en date du 30 mars 2020, précisé les implications comptables du Covid-19 sur le calcul des pertes de crédit attendues en conformité avec le modèle de l’expected loss prévu par la norme IFRS 9 sur les instruments financiers.

Selon le modèle de l’expected loss, les banques doivent estimer les pertes en se fondant sur les informations disponibles des événements passés, mais aussi en établissant les prévisions appropriées relatives à la conjoncture économique à venir.

Ainsi, la suspension ou le report de paiement ou l’octroi de crédits complémentaires par un établissement bancaire ne constituent pas mécaniquement une augmentation significative d’exposition au risque crédit.

De même, les mesures de soutien mis en œuvre par l’Etat français doivent être pris en compte dans la production des données macroéconomiques prospectives utilisées pour déterminer les estimations à long terme des pertes de crédit.

Conséquences de la pandémie Covid-19 sur le risque technique dans le secteur assurance et pour les unités d’affaires assurance des groupes bancaires

  • L’assurance/réassurance vie :

Pour les réassureurs vie, la pandémie liée au coronavirus aura un impact peu matériel si nous restons sur les hypothèses de mortalité actuelles observées au sein des pays de l’OCDE. Selon Denis Kessler, PDG du groupe de réassurance SCOR : « La population générale n'est pas la population assurée ou réassurée, explique -t-il. Une grippe sévère touche 300 à 600 000 personnes par an et cela arrive de manière régulière. Avec le coronavirus, nous ne devrions même pas atteindre ce chiffre. Nos travaux de modélisation étayent ces conclusions ».

  • L’assurance/réassurance dommages aux biens :

L’impact du Covid-19 devrait être relativement limité, car le fait générateur pandémie est souvent une exclusion des clauses pertes d’exploitation au sein des programmes multirisques industriels. Cependant les assureurs couvrant l’annulation d’événements (concerts, compétitions) devraient être plus impactés

Impact du Covid-19 sur le processus d’arrêtés de comptes, la communication financière et la gouvernance dans les secteurs banque et assurance

D’une façon générale, les groupes bancaires et d’assurance se voient appliquer deux ordonnances résultant de la loi d’urgence adoptée le 22 mars 2020 :

  • Ordonnance du 26 mars 2020 portant sur l’adaptation des règles de réunion et de délibération des AGOA, laissant la possibilité de tenir les assemblées hors présence physique des actionnaires en autorisant les visio-conférences si ces dernières permettent de garantir l’identification et la participation effective au vote
  • Ordonnance sur la production des comptes sociaux, publiée le 26 mars 2020, autorisant le proroger de trois mois les délais d’approbation des comptes, si ces derniers n’ont pas été approuvés avant le 12 mars 2020.

De façon plus spécifique, en ce qui concerne les secteurs banque et assurance, l’ACPR et l’AMF incitent les établissements de crédit et les compagnies d’assurance, à ne pas verser ni d’acompte ni solde sur dividende relatif aux exercices 2019 et 2020, et de privilégier la stratégie de rétention, en vue de ne pas trop affecter les ratios prudentiels.

De même l’ACPR donne, compte tenu du contexte actuel, de la souplesse, en termes de diffusions du reporting FINREP et COREP (pilier 3 de Bâle 3).

Enfin, l’AMF, dans le cadre de la directive transparence, demande aux émetteurs de communiquer sur les éventuelles difficultés rencontrées dans le cadre du processus d’arrêtés de comptes et de communication financière au marché. En autre, en lien avec la règlement européen abus de marché, elle demande aux groupes cotés sur un éventuel retard dans le processus de révision comptable et d’arrêtés de comptes tant domestiques qu’IFRS.

D’une manière plus générale, les comités d’audit et des comptes auront, au sein des conseils d’administration des banques et compagnies d’assurance, à :

  • Réviser le modèle d’appétence aux risques et de priorisation de l’allocation des fonds propres post examen des conséquences de la pandémie sur l’exploitation de l’entreprise et la stratégie,
  • S’interroger sur l’impact de la pandémie sur l’efficacité de la gouvernance des risques (modèles ALM, modèles actuariels, efficacité des plans de continuité, exhaustivité de la cartographie des risques, etc)
  • Examiner l’impact de la pandémie sur le résultat d’exploitation bancaire intégrant le coût du risque, et sur le résultat technique.

La pandémie du Covid-19 amènera les groupes d’assurance à réexaminer l’ensemble de leur dispositif de gouvernance des risques en s’interrogeant sur la pertinence de la production de leur cartographie des risques, de l’estimation du risque inhérent et du risque résiduel en fixant de nouvelles priorités en termes d’appétence aux risques.

Ecrit par

Pascal Kerebel

En savoir plus
newsletter image

Recevez nos newsletters

Formation, Management, Commercial, Efficacité pro

Abonnez-vous