Votre projet risque-t-il de devenir obsolète ? Le syndrome de Boyard
Un chantier qui n'en finit pas
Dès la fin de la construction de l'arsenal de Rochefort en 1666, il apparait nécessaire de se protéger contre les incursions anglaises. Un peu de triangulation : la portée des canons tirés de l'île d'Aix et de l'île d'Oléron étant trop faible, elle laisse ouvert un couloir de 3 000 m²... suffisant pour laisser passer les troupes de la perfide Albion.
Lorsque Louis XIV évoque l'idée d'installer un fort sur un banc de sable appelé longe de Boyard, le sang de Vauban ne fait qu’un tour : «Sire, il serait plus facile de saisir la Lune avec les dents que de tenter en cet endroit pareille besogne». Il en faudra plus pour dissuader le monarque.
Le projet est abandonné à plusieurs reprises, pour finalement être relancé par Napoléon, qui valide en 1803 la construction d'un cuirassier de pierre sur un enrochement. Un chantier pharaonique débute alors : des blocs de pierre extraits des carrières locales sont coulés... littéralement ! Car le résultat n'est pas celui escompté : les rochers s'enfoncent dans le sable sous leur propre poids.
Ajourné en 1809, après que les anglais aient détruit l'escadre de Rochefort, le projet redémarre en 1840, sous Louis-Philippe. Tirant quelques enseignements du passé, ce sont des caissons de chaux qui sont utilisés pour la construction du socle, achevé en 1848. Celle du fort lui-même prendra encore dix ans.
Les dimensions du bâtiment ont de quoi impressionner : 68 mètres de long, 32 mètres de large et 20 mètres de haut !
Censé être occupé par 250 soldats et armé de 74 canons (autant de pièces qu’un navire de guerre à trois ponts)... il n’en recevra pas plus d’une trentaine.
En effet, au milieu du XIXe siècle, les progrès de l’artillerie (canons à âme rayée, remplacement du boulet par l’obus) permettent de croiser le tir entre Oléron et Aix. Ce qui rend le fort, à peine achevé après des décennies de labeur, obsolète.
Il deviendra tour à tour prison militaire sous le Second Empire (accueillant des soldats prussiens et autrichiens, puis des prisonniers politiques de la Commune), proie des pillards une fois abandonné par l'armée en 1913, puis enfin demeure de l’inénarrable père Fouras !
Le syndrome de Boyard
On peut parler de syndrome de Boyard lorsqu’un projet met tellement de temps à se concrétiser qu’il devient obsolète une fois qu’il est terminé.
Nous pourrions être tentés de montrer du doigt certains gros projets SI qui engloutissent les budgets, les délais et les hommes. Il est vrai qu’ils sont particulièrement concernés par le paradoxe suivant :
- Ils doivent souvent agréger la double complexité des exigences métier et de l’urbanisation du SI, qui génèrent du temps de développement étiré,
- L’environnement métier et technologique dans lequel ils s’inscrivent évolue très rapidement.
Dit autrement : le temps de comprendre à quel besoin mon application doit répondre, le besoin s’est volatilisé ou ma techno est dépassée !
Mais ce sont potentiellement tous les projets qui sont concernés si, à un moment donné, leurs cycles de développement ne sont pas mis en cohérence avec le besoin auquel ils sont censés répondre.
La flottille est plus facile à manœuvrer que le vaisseau amiral
Une bonne pratique évidente mais souvent oubliée est de s’engager dans des projets courts !
Mieux vaut en effet chainer 3 petit projets de 3 mois qu’un gros projet de 9 mois :
- Dans la mesure où son périmètre est réduit, la charge cognitive associée à un petit projet est plus facile à absorber par les parties prenantes : cela favorise son appropriation par les futurs utilisateurs et la prise de décision par les commanditaires.
- Il est plus facile de susciter la motivation et l’engagement des équipiers sur un projet court,
- Les dérives sur des projets courts ont des effets de bords immédiats et du coup, il n’est pas possible de dissimuler les difficultés rencontrées : il faut les traiter !
Cela suppose de travailler habilement le lotissement de projet pour que le premier projet délivre le cœur de la valeur attendue… car il est fort possible que les deuxième et troisième projets ne voient jamais le jour, ou soient complètement réorientés d’ici trois mois.
Dans le cas de Boyard, le besoin principal était d’empêcher les troupes anglaises de passer entre l’île d’Aix et celle d’Oléron. Une simple tour avec 30 canons, ou bien l’amarrage d’un bateau de guerre au même endroit auraient peut-être largement suffi.
A moins que... faire la paix soit le remède à tous les maux !
Je tiens à remercier Isabelle Baicry, qui m'a donné l'idée de cet article lors d'un Happy Learning Cegos.